Aimer quelqu’un qui ne nous aime pas
Quelle plus grande épreuve ?
Au cœur du cœur –
entrer dans cette déchirure. Oser
jusque là, la solitude,
la seule dont on puisse tout apprendre –
Les sentiments ne sont personne.

Oh, je sais que c’est dur… Peut-être, il me faudrait m’éventrer à mon tour pour que tu puisses voir une dernière fois toute la chaleur qui sort naturellement d’un corps. Quitte à souffrir… Déchire toi, apprends à te repousser. L’attachement doit être cette douleur profonde comme celle que répand la maladie. Il faut l’accepter pour de nouveau retrouver son corps, ou la vie… Nous sommes tous de cette étrange solitude. C’est pourquoi désirer est si terrible… Se croire ensemble seul.e.s. L’eau trouble où s’enfonce le marais. Tout sentiment amoureux est de l’ordre de cette guerre où nous avons comme seul ennemi l’oubli que l’on s’inflige.

Cela fait deux jours que je rêve de t’écrire
Et chaque fois à sept heures avec la clarté du ciel
Je me réveille. Il ne me reste rien d’autre
qu’une empreinte sur un lit :
Une image temps. Un fossile
dont je ne connaitrais plus que la date
de son décès
L’année où je t’ai rendu ce baiser
et la nuit, hier où je t’ai manqué
pour toujours…
Mémoire d’un monde perdu
où les paroles raisonnent comme une légende.

M’entends-tu aujourd’hui ?
Me voilà parti pour Anger –
ta ville adorée où repose désormais
ton nom. Depuis notre rencontre,
j’ai toujours voulu te faire cette surprise.

Ce que fait l’automne

les mille feuilles rouges à notre porte
l’aulne au bout du jardin

Te donner une fleur que j’avais précieusement gardé
en te montrant ce qui était mort
de ma main, de l’autre côté : l’aulne à venir
chaque année
Le bel été
à tes cotés.

Plus que les fleurs, les papillons, et abeilles désormais non sauvages qui alimentent cet espace invariable comme le dernier retour que l’on a vers chez soi, il y a un spectacle dont je ne me lasse jamais quand je me promène dans les parcs ; c’est cet art, discret, avec lequel certaines personnes s’assoient, suspendent leurs journées dans le chaos des villes. Quand je regarde ces personnes, bien qu’elles me soient en tout point : parfaitement étrangères, il me semble reconnaitre un trait humain, comme je reconnais un trait de guépard d’un trait de chat. Je pourrais bien faire trois fois le tour du monde que je retrouverais encore ces mêmes façons de souffler, d’occuper l’espace près de l’herbe, comme je retrouve les même jeux d’enfants après deux mille ans d’histoire. Car s’il y a bien tous les bruits d’un monde sur le point de s’achever dans un parc, il y a aussi le silence attentif d’un cœur dans lequel l’âme descend se coucher.

Aucune voix ne peut être un chemin, aucune image, aucune littérature ne peut être une terre où exister. Pourtant, peut-être n’aimons-nous les histoires que pour ces lieux qu’elles nous rapportent du lointain. Pour ces lieux qui affirment que l’imaginaire peut être une mémoire de pierres, une mémoire du vent où les navires ne reviennent jamais que pour nous hanter. Il existe un ailleurs, tout aussi manifeste qu’un éclair, comme il existe une forêt que nulle n’a encore pénétrée. Peut-être est-ce là d’ailleurs la seule chose qui nous intéresse, nous rapprocher d’un rêve qui discrètement nous traverse avant de s’éteindre là où commence le bruit de la rivière et le chant des oiseaux. Parfois cela peut être une cabane oubliée au bord d’un plateau, une campagne d’hiver où des traces de pas dans les champs de vignes nous rappellent le corps lourd de nos anciens professeurs qui buvaient le vin à table, ce qui demeure un parfait moment de paix, de couleurs légères, qui nous rendent le monde comme on aime se le remémorer mais quelque fois c’était une simple allée, à l’ombre de grands pins, que l’on avait jamais vu pour de vrai, une cascade dans un pays oublié, où ne vivent peut-être que des plantes et une faune ignorée, deux sœurs, retirées dans une vieille maison isolée, car quelque fois c’était cette image vraie, une lettre oubliée sur la table de chevet, que nous donnait notre envie de vivre, de partir, pour rencontrer cette félicité que l’on avait imaginée, et que le corps pouvait alors faire durer, quelque fois, aussi longtemps que peut durer le sentiment de réalité.